Daniel H. Lanteigne, CRHA et consultant principal au sein du via bookmarklet cabinet BNP Performance philanthropique, a reçu le diagnostic du syndrome d’Asperger. (Photo: courtoisie)
PÉNURIE DE TALENTS. L’embauche de personnes neuroatypiques est une tendance qui s’accélère, selon Pierre Bissonnette, directeur général bénévole de l’entreprise sociale Neuro Plus. D’une part, du fait de la multiplication d’initiatives en faveur de la diversité et de l’inclusion dans le monde du travail. D’autre part, en raison de la pénurie de main-d’œuvre qui vient compenser la peur de l’inconnu de l’embauche d’un profil non « typique ».
L’objectif de Pierre Bissonnette avec Neuro Plus ? Accroître l’obtention et le maintien en emploi de profils neuroatypiques. Avec ses associés, le docteur en neurosciences Bruno Wicker et l’expert en employabilité Martin Prévost, il a permis l’emploi d’une soixantaine de personnes autistes ces deux dernières années, auprès d’entreprises, comme Desjardins, Cascades ou Beneva. « Avoir une influence positive est bien plus valorisant que de recevoir un chèque de paie », dit-il.
On parle de neurodiversité s’agissant de l’autisme, mais également de TDAH, de dyslexie, de dyspraxie, de dysphasie ou encore de douance. C’est-à-dire de personnes dont le cerveau fonctionne différemment de la norme, ce qui entraîne une perception divergente de leur environnement.
« Il y a plus de 80 000 personnes autistes et intelligentes au Canada, mais moins de 15 % ont un emploi dans leur domaine de compétence », affirme Pierre Bissonnette, dont le deuxième fils est né autiste. Selon lui, le défi ne vient pas de leurs aptitudes professionnelles, mais de leur « maladresse » sociale. « Il m’est difficile de regarder spontanément les gens dans les yeux, illustre par exemple Daniel H. Lanteigne, CRHA et consultant principal au sein du cabinet BNP Performance philanthropique, qui a reçu le diagnostic du syndrome d’Asperger. Cela peut être pris comme une marque de désintérêt alors qu’il ne s’agit juste que de ma manière naturelle d’intégrer l’information. »
Un effort d’adaptation réciproque
Neuro Plus recrute directement les personnes et les accompagne, elles et l’employeur, pour que tout se passe au mieux. « On vient nous voir un peu comme un dernier recours, mais cela ne nous dérange pas : on ne demande pas la charité, mais juste des occasions de prouver que cela marche », explique l’ancien haut dirigeant (notamment de Huawei Canada).
Aux prises avec un trouble du spectre de l’autisme, Vincent Gagnon, 32 ans, a ainsi été aidé par l’entreprise sociale pour se faire embaucher au sein de Roxboro Bauval en tant que programmeur analyste. « Sans eux, cela aurait été plus difficile d’avoir une réponse positive. Je bégayais trop, il m’était difficile de gérer mon anxiété, ou bien je comprenais différemment les questions posées par mes interlocuteurs. »
Martin Prévost l’a accompagné lors de ses entrevues et continue de le suivre encore aujourd’hui, tout en sensibilisant ses nouveaux collègues. « Il faut toujours avoir en tête que les personnes neuroatypiques font constamment plus d’efforts au quotidien pour s’adapter aux règles qui ont été faites pour la majorité », indique l’expert en employabilité qui intervient auprès de personnes autistes ou en situation de handicap depuis une trentaine d’années.
Un atout pour les entreprises
D’après les experts interrogés, les employeurs ont tout à gagner à s’ouvrir à ces profils. « Même s’il ne faut pas faire de généralités, ces personnes accordent souvent un grand souci au détail et à la qualité. Elles sont également très honnêtes et très bonnes pour améliorer des processus existants grâce à une vision différente des choses », constate Pierre Bissonnette.
« J’ai personnellement besoin de beaucoup anticiper les risques, ce qui m’amène à me projeter rapidement vers une vue très stratégique et à déceler les angles morts », indique pour sa part Daniel H. Lanteigne.
Vincent Gagnon a d’ailleurs remis en question beaucoup de façons de faire depuis son arrivée dans son entreprise. Ce qui fait sourire Martin Prévost : « Cela a surpris son employeur au début, mais aujourd’hui, ce dernier se rend compte que c’est une vraie chance. »
Pour bien accueillir les profils atypiques, certaines bonnes pratiques peuvent être mises en place. Par exemple, privilégier les communications écrites, car le langage non verbal est difficile à appréhender pour les neurodivergents. Faire attention aux nuisances sensorielles, comme le bruit, la température ou les odeurs. Ne pas autoproclamer qu’une consigne est claire : par exemple, la question « Parle-moi de toi » en entrevue est trop ambiguë.
« Il est beaucoup question, aujourd’hui, de diversité culturelle et des manières de gommer ses biais en la matière, témoigne Daniel H. Lanteigne. C’est le même mécanisme ici : il faut s’intéresser à ces enjeux avec des lunettes sans jugement et comprendre que l’autisme n’est pas que le film « Rain Man » [« L’Homme de la pluie », au Québec]. C’est un vaste spectre. »